LE MOT MARON

Chapitre 2 : documentation / étymologie

Une origine hispano-américaine

Pourquoi « mar[r]on » ? Une évocation des coups reçus par les esclaves ? Pas du tout.

Dans son édition de 1971, le Larousse étymologique donne l’adjectif « marron » ou « maron » comme une altération de l’espagnol américain cimarrón, qui au xvie siècle désigne un animal domestique échappé « réfugié dans un fourré, un bosquet, un buisson ». L’ancien espagnol cimarra désigne un fourré. En espagnol moderne, hacer la cimarra, c’est faire l’école buissonnière, et le cimarrón désigne aujourd’hui un animal domestique enfui. Le terme espagnol cimarra a aussi donné en français « chamarré » qui en ancien français désigne les animaux à fourrure mouchetée qui sont quasiment invisibles dans une forêt (cf. Dictionnaire étymologique de la Langue Française de Bloch et V. Wartubuch). Plus tard, cimarra signifie « élevé, montagnard ».

Par extension, au xvie siècle, les colons français installés au -Antilles proches des colonies hispano-américaines empruntent le terme cimarron qui se créolise en maron pour désigner un animal domestique échappé et redevenu sauvage après s’être enfui dans la montagne. Le terme est rapidement appliqué aux esclaves amérindiens ou noirs de la Caraïbe qui fuyaient leur condition servile et partaient vivre libre, cachés dans les montagnes et les denses forêts tropicales.

Aujourd’hui, cimarron a toujours une connotation péjorative en hispano-américain et désigne une boisson amère, un individu paresseux et fainéant, un marin indolent, une plante sauvage, une mauvaise herbe. Cimarronnada, est un troupeau d’animaux enfuis redevenus sauvages et cimarronear est un verbe qui toujours signifie s’échapper, s’enfuir.


Petits et grands marons

La législation du maronage est régulièrement reprise et amendée. L’ordonnance de 1819 nous donne la somme la plus complète pour définir ce qu’est un maron :

« tout esclave sorti de l’habitation de son maître ou de la ville doit être muni d’un billet de passage signé du maître […] faute de quoi, il pourra être conduit aux dépôts de marrons ». (Art. 1)

« […] n’est réputé marron que le noir absent depuis plus de trois jours de l’habitation du propriétaire, fermier, dépositaire ou séquestre. » (Art. 12)

« Sont réputés petits marrons les esclaves qui auront été absents plus de trois jours et moins d’un mois. » (Art. 15)

« Sont réputés grands marrons les esclaves qui auront été absents au-dessus d’un mois. » (Art. 16)

Dictionnaires

Dictionnaire Trésor de la langue française


MARON – MARRON-ONNE, adjectif

Étymol. et Hist. 1. a) 1640 « échappé et redevenu sauvage (d’un animal domestique) » (BOUTON, Relation de l’establissement des François en l’isle de la Martinique, p. 69 ds ARV., p. 334 : pourceau maron) ; b) 1658 Nègre Maron (ROCHEFORT, Histoire naturelle et morale des Isles Antilles de l’Amérique, p. 322, ibid., p. 335) ; 2. 1762 subst. masc. « personne qui exerce une profession sans titre » (CHEVRIER, L’Observateur des Spectacles, no I [I, 21] ds Fr. mod. T.37, 1969, p. 127). Mot à l’orig. en usage dans les Antilles françaises, empr. au caraïbe mar (r) on « sauvage (animal, plante) », issu par aphérèse de l’esp. cimarron, proprement « élevé, montagnard » d’où, P. ext., « animal domestique échappé et redevenu sauvage » et « indien fugitif » (1535, OVIEDO ds COR.-PASC. ; cf. aussi Cimaroni en 1579 dans une trad. fr. d’un texte ital., V. KÖNIG, p. 145). Le sens d’« esclave nègre fugitif » semble être une création des colons, née aux Antilles, due à une compar. des Noirs échappés avec les animaux domestiques devenus sauvages après s’être enfuis dans les montagnes ». Voir ARV., pp.334-336. Bbg. ARV. 1963, pp.334-336. BOULAN 1934, p. 79. HENSCHEL (B.). Qq. dat. nouv. du 18e s. Fr. mod. 1969, T.37, p. 127. MONNOT (R.). Dat. nouv. Fr. mod. 1952, T. 20, p. 225. QUEM. DDL T.1, 6.

REM. Marron(n)age, (Marronage, Marronnage) subst. masc. Action, pour un esclave, de s’évader ; état d’esclave marron. Des esclaves qui s’échappent et qu’alors on appelle marrons n’usent pas même de représailles : car le marronnage, c’est-à-dire la fuite, n’est qu’une conséquence du droit le plus légitime (H. GRÉGOIRE, De la Noblesse de la peau, 1826, p. 66 ds QUEM. DLL T.14). La tactique du marronage, reprise dès 1801, sans Toussaint Louverture, par les masses d’anciens esclaves, est à nouveau en vigueur [en Haïti] : repli vers les zones et activités vivrières, réorganisation de structures nouvelles de solidarité, volonté d’exprimer la révolte autrement que par un exode qui dévore une partie des forces vives du pays sans apporter la solution à la misère (A. JACQUES ds Le Monde, 29 août 1981, p. 4, col.2). Exercice illégal d’une profession. (Dict. XIXe et XXe s.).


MARRONNER, verbe

A.  [Correspond à marron2] Emploi intrans., vieilli. Vivre en esclave marron. (Ds Lar. 19e ; dict. XXe s.). P. ext. Exercer une profession illégalement ou dans des conditions irrégulières. (Ds Lar. 19e ; dict. XXe s.).

B.  [Correspond à marron3] Emploi trans., arg. Marronner une affaire. Échouer dans une entreprise. Voir VIDOCQ, Vrais myst. Paris, T. 5, 1844, p. 16.

Prononc. : []. Étymol. et Hist. 1. 1812 « imprimer clandestinement » (MOZIN-BIBER) ; 2. 1874 « exercer une profession sans l’autorisation nécessaire » (Lar. 19e) ; 3. 1874 trans. ou intrans. « être esclave marron, vivre en esclave marron » (ibid.). Dér. de marron2*; dés. -er.

L’anglais dit aussi to maroon, mais au sens d’abandonner un marin dans un endroit désert.

Intéressant : marron désigne au moyen âge un guide, un montagnard. Mais son origine etymologique n’a rien à voir avec l’espagnol cimarron. Le mot vient de l’italien marr (pierre, rocher) francisé avec le suffixe « on » marron : celui qui à la pratique des rochers.


Dictionnaire du Moyen Français (1330-1500)

MARRON, subst. masc.

[GD : maron ; *FEW VI-1, 371a : *marr-1]

Région. (Savoie) « Guide de montagne » : La ne fault marron [à Paris, Reims et Rouen…], n’estrangier, Ne sur la nege avoir doubtance, N’a la Ferriere desplaisance Ou l’en pert par cheoir la vie Souventefoiz [lors du passage des Alpes pour aller en Italie]. (DESCH., Oeuvres Q., T.5, c.1370-1407, 130)….il fault avoir bonnes guydes qu’ilz appellent marrons, pour trouver le chemin qui est couvert [pour franchir le mont Cenis] (LA BROQUIÈRE, Voy. Outr. S., c.1455-1457, 2).

REM. Cf. H.-E. Keller, R. Ling. rom. 26, 1962, 143 : « Sav. marron « guide de montagne » a été formé sur la racine alpine marr– « pierre » moyennant le formant prélatin -on-. C’est un terme créé dans les Alpes occidentales et qui signifie littéralement « celui qui a la pratique des rochers ; montagnard »

Au final, les Grands Marons réfugiés dans les hauts de l’île Bourbon deviennent par la force des choses de vrais montagnards…

Au cours des temps, la graphie de mar(r)on a été diverse. À La Réunion, dans les documents administratifs du XVIIIe siècle comme les archives de la Compagnie des Indes, les rapports des détachements ou les textes littéraires, on trouve couramment maron, avec un seul « r » et un seul « n ».

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