Archéologie
Chapitre 3 - recherche pluridsciplinaireApproche archéologique du maronage à La Réunion
Suggéré depuis la fin des années 1970 et longtemps attendu, un programme de recherche archéologique scientifique sur le maronage de La Réunion est en cours depuis fin 2007. Conduit par Anne-Laure Dijoux (Université Paris-1), il est appuyé par le service de l’archéologie de DAC-OI — effectif depuis fin 2010 — et le Parc national de La Réunion. Plusieurs recherches archéologiques ont ainsi été réalisées dans les Hauts. Les résultats ont permis de caractériser, pour la première fois, un site occupé par des esclaves marons au début du XIXe siècle, la « vallée secrète », ainsi que d’autres lieux de campement temporaire d’altitude.
La Vallée secrète
Un refuge extrême pour les esclaves maronsL’emprise de la zone archéologique s’étend sur 35 m de long et 10 m de large, elle est implantée au centre de la vallée où il est impossible d’être vu. Les vestiges se composent à l’ouest, d’une plateforme présentant des ossements de faune en surface (str. n° 3) et à l’est de celle-ci, de deux structures bâties (str. n° 2 et n° 1) en pierres sèches sous un surplomb rocheux.
Les sondages archéologiques ont livré plusieurs couches témoignant d’occupations humaines. Au centre de chaque abri, un foyer a été mis au jour, auquel sont associés de nombreux restes de faune majoritairement aviaire et plus faiblement de faune terrestre. Les analyses archéozoologiques ont démontré que l’ordinaire des repas était en grande partie composé de viande d’oiseau juvénile incapable de voler (Pterodoma baraui – Pétrel de Barau) complété par celle de porc/sanglier et de chèvre/mouton.
Les hommes n’ont laissé derrière eux que quelques rares restes d’objets (clou, silex provenant de pierres à fusil, pipe à fumer, éclats de fer). Leur présence traduit des activités domestiques au sein des cabanes : consommation de substances fumables et allumage du feu par les pierres à fusil utilisées en tant que percuteurs. Une datation absolue sur le fragment de pipe a permis de dater son dernier chauffage en 1822 A.D. ± 13 ans, soit entre 1809 e t 1835 après J.-C. en pleine période de l’esclavage colonial sur l’île.
Le site « HBC13 », Rivière des Remparts
Un campement temporaire dans la zone du volcanLes sondages archéologiques réalisés ont permis de mettre en évidence une succession d’occupations temporaires représentée par la présence de multiples foyers placés à différents endroits. Des amas de faune totalisant 274 ossements ont été mis au jour. Leur analyse archéozoologique confirme encore une fois un régime alimentaire principalement basé sur la chasse d’oiseaux juvéniles (Pterodroma baraui – Pétrel de Barau), et sur la consommation de cabris sauvages.
L’abri, formé par un large porche ouvert sur la végétation, a été sommairement protégé par un petit muret de pierres sèches de 2,80 m de longueur et de 50 cm de hauteur, uniquement placé dans la partie est et aménagé de façon simple mais efficace.
À l’instar de la « vallée secrète », très peu d’objets ont été abandonnés dans l’abri : deux éclats de silex provenant de pierres à fusil ou à briquet et une tige de clou en fer forgé. Ce mobilier d’époque coloniale, très courant à l’époque, ne permet pas de fournir une datation précise des occupations.
La position des ossements dans l’abri indique l’utilisation du fond très étroit comme zone de rejet alors que la zone couverte par le porche et à moitié protégée par le muret a été utilisée pour la cuisson, la consommation des aliments ainsi que le chauffage.
Les données archéologiques issues des sondages et la situation topographique du site permettent de caractériser la fonction de l’abri « HBC13 » en campement temporaire en vue de l’exploitation des ressources carnées environnantes. La chronologie des occupations reste dans une fourchette comprise entre le XVIIIe et le XIXe siècle. Les vestiges pourraient donc être attribués à des esclaves marons mais aussi éventuellement à des chasseurs de marons ou à d’anciens braconniers.
Anne-Laure Dijoux
Archéologue et docteure en archéologie de l’Université de Paris-1 Panthéon-Sorbonne, Anne-Laure Dijoux est spécialiste du peuplement des Hauts de La Réunion et particulièrement de l’aspect archéologique du maronnage.
Ses travaux visent à combler les lacunes des sources écrites et orales sur cette thématique en mettant en œuvre les méthodes de l’archéologie de terrain. Son travail de doctorat a permis de nombreuses avancées sur les modalités matérielles du peuplement des Hauts : inventaire critique des lieux du maronage connus et de leur potentiel de relocalisation, premières prospections pédestres dans les Hauts, premier site archéologique de maronnage caractérisé dans la « vallée secrète », premiers sondages archéologiques sur des sites d’habitats de Petits-Blancs et première carte archéologique de la zone des Hauts de La Réunion. Les résultats obtenus à la « vallée secrète », aujourd’hui unique témoin matériel du maronage avéré, ont apporté un éclairage nouveau sur la survie d’esclaves fugitifs dans un milieu extrême. Les fouilles de sites de Petits-Blancs ont mis en lumière l’importance de leur impact sur le milieu naturel et démontré que la recherche des traces de maronage est fortement tributaire de leurs vestiges aujourd’hui visibles dans l’espace.
LIDAR
Cartographie aérienne et détection laserParce qu’une des caractéristiques du maronage est de laisser le moins de traces visibles possibles pour mieux protéger les esclaves en fuite, les lieux choisis par les marrons comportent le plus d’obstacles naturels : densité de la végétation à traverser, reliefs abrupts, isolement des camps établis… Aujourd’hui, à l’exception remarquable du site de la «Vallée secrète» qui n’était connu par aucune archive, seules les sources historiques permettent d’attester l’existence de ces camps de marons aux XVIIIe et XIXe siècles, sans pour autant pouvoir les localiser avec certitude.
Les progrès technologiques combinés aux avancées des recherches archéologiques permettent d’envisager cette question sous un autre angle. Désormais il est possible de scruter, et de traverser la couche végétale du territoire afin de détecter des traces de présence humaine : anciens chemins, terrasses ou structures bâties pouvant guider les recherches vers d’éventuels vestiges de camps de marons. L’analyse de ces images permet alors d’interpréter le patrimoine culturel des Hauts de La Réunion, en croisant ces données aux autres plus conventionnelles, et de mieux comprendre, à terme, l’utilisation de l’espace de l’intérieur de l’île comme lieu d’une véritable société marronne organisée dans l’espace et le temps.
L’enjeu est d’importance : il s’agit de pouvoir identifier objectivement, de mieux quantifier et surtout de qualifier des sites ayant pu servir aux esclaves lors de leurs fuites des propriétés auxquelles ils étaient rattachés. Dès lors, des opérations archéologiques peuvent être organisées sur le terrain afin de vérifier, d’enregistrer, d’étudier, de conserver et de valoriser les structures et objets retrouvés sur les sites ainsi identifiés.